J’ai mené mon enquête. J’ai cartographié les silos à l’aide de street view pour organiser mes déplacements sur le territoire. J’ai quadrillé le périmètre, ils ne m’échapperont pas. J’ai photographié les silos en arpentant les routes du département, de manière très méthodique. Quelques-uns étaient occupés, j’y retournerai plus tard. J’ai prélevé par la photographie des textures de rouille présentes sur ces structures, ces éraflures du temps sont des indices, j’en suis sûr. J’ai oxydé des petites plaques de métal avec divers produits afin de récréer cette rouille, rien ne se fige, elles changent de jour en jour. J’ai cherché à retrouver ces fameuses nuances colorées en imprimant machinalement les textures que j’avais prélevées, la sérigraphie fut mon alliée. J’ai ajouté de l’orange, du rouge, parfois un peu de brun. J’ai détouré certains silos, les ai extrait de leur environnement, isolé dans l’obscurité en les teintant de blanc. Ils ont pris pendant un court instant l’apparence de capsule spatiale, fausse piste ? J’ai ramassé un épi de maïs qui avait germé près d’un silo. En cultivant cette plante, j’en apprendrais peut-être plus sur ces structures qui servent à le conserver. J’ai rencontré un silo abandonné par ses agriculteurs, il a été très silencieux mais il m’a légué un morceau de lui-même afin que je puisse l’analyser. J’ai fait entrer en résonance ce même silo pour le réveiller. Je l’ai gratté, griffé, percuté, frappé, et bien sûr j’ai tout enregistré. J’ai été voir les montagnes pour m’aérer l’esprit, on réfléchit toujours mieux ensuite.

Je suis retourné ensuite dans mon laboratoire. J’ai décidé de prendre le chemin inverse, ne faudrait-il pas prendre du métal déjà oxydé et venir le gratter, le poncer, le rayer et voir ce qu’il y a dessous ? Si je sérigraphie un silo sur une plaque l’acier, que je fais ensuite oxyder cette même plaque en y apposant une feuille préalablement humidifiée, obtiendrais-je un silo rouillé ? Et si je remplissais un jerrican avec de l’eau de pluie, que je faisais tomber une goutte d’eau toute les 10 secondes sur une petite plaque de métal dépourvue de rouille mais qui présente les mêmes caractéristiques physiques que le métal du silo ? Ou alors devrais-je peut-être recouvrir une photographie de silo par du maïs qui a préalablement trempé plusieurs heures dans un bain d’eau et d’oxyde de fer ?


Les feuilles sont déjà tombées, elles se décomposent lentement sur le sol humide. Le froid se fait sentir dans le laboratoire, j’ai dû oublier de payer la facture de gaz. Il est peut-être temps de rentrer de toute façon. J’y reviendrais plus tard, quand les bourgeons de maïs auront éclos. 
Using Format